Textes
Titre Auteur•ice
A *FCPRSONSLCUHDF* Fleurs, corps, paysage, ruche et smartphones, ou notes sur la conception d’une horloge de flore Marc Buchy
B *ST* Sans titre (Ou comment Marc Buchy m’a appris à ne plus m’en faire et à aimer les parterres de fleurs) Marie Cantos
C *LOBDMB* Les oscillations botaniques de Marc Buchy Clelia Coussonnet
D *HDF* Horloges de Flore Gil Ferrand
E *TSTV* Temps social & temps végétal Gil Ferrand
Plantes
Nom Commun Nom Scientifique Zone
1 BDJ Belle-de-jour

Convolvulus tricolor L.

matinal
2 CR Crépide rose

Crepis rubra L.

matinal
3 CS Chicorée sauvage

Cichorium intybus L.

matinal
4 CB Catananche bleue

Catananche caerulea L.

matinal
5 ÉEÉ Epilobe en épi

Epilobium angustifolium L.

matinal
6 PO Piloselle orangée

Pilosella aurantiaca F.W.Schultz & Sch.Bip.

matinal
7 RA Renoncule âcre

Ranunculus acris L.

matinal
8 (VS) Volubilis ‘Shiva’

Ipomoea purpurea Roth

matinal
9 (VG) Volubilis ‘Grandpa Ott’

Ipomoea purpurea Roth

matinal
10 SDC Souci des champs

Calendula arvensis L.

diurne
11 SDJ Souci des jardins

Calendula officinalis L.

diurne
12 PDCR Pavot de Californie ‘Red Chief’

Eschscholzia californica Cham.

diurne
13 PDCS Pavot de Californie ‘Simple Mix’

Eschscholzia californica Cham.

diurne
14 LÀGF Lin à grandes fleurs

Linum grandiflorum Desf.

diurne
15 CA Carline acaule

Carlina acaulis L.

diurne
16 SDC Souci du cap

Dimorphotheca pluvialis Moench

diurne
17 GT Gilia tricolore

Gilia tricolor Benth.

diurne
18 ODV Oxalis de Valdivia

Oxalis Valdiviensis Barnéoud

diurne
19 NFC Nicandre faux-coqueret Nicandra physalodes Gaertn. diurne
20 FTM Ficoïde Cleretum bellidiforme G.D. Rowley, 1979. syn. Dorotheanthus bellidiformis N.E.Br, 1928 Syn. Mesembryanthemum criniflorum L., 1782 diurne
21 HF Hémérocalle fauve

Hemerocallis fulva L.

diurne
22 GM Grande marguerite

Leucanthemum maximum D.C.

diurne
23 ŒDP Œil-de-paon

Tigridia pavonia Redouté

diurne
24 PR Phalangère ramifiée

Anthericum ramosum L.

diurne
25 CÀFO Campanule à feuilles d’ortie

Campanula trachelium L.

diurne
26 GC Gentiane croisette

Gentiana cruciata L.

diurne
27 P Piloselle

Pilosella officinarum Vaill.

diurne
28 OB Onagre bisannuelle

Oenothera biennis L.

nocturne
29 BDN Belle-de-nuit

Mirabilis jalapa L.

nocturne
30 (IB) Ipomee blanche

Ipomoea alba L.

nocturne
Légende carte
Description
Ruche
// Limites du parc
:: Chemin

D

x

Horloges de Flore

Gil Ferrand, ethnobotaniste, juin 2023

On devrait dans chaque climat composer une Horloge de Flore,
réglée sur les veilles des Plantes, afin que chacun eût, sans montre,
ou lorsque le Soleil est caché, l’heure positive du jour


Carl Linné, Philosophia Botanica, 1751




Le naturaliste suédois Carl Linné (1707-1778) fut le premier à formuler l’idée d’une « Horloge de Flore » (Horologium florae). Publié en latin dans son ouvrage Philosophia Botanica (1751), ce dispositif végétal apparaît sous la forme d’une liste détaillée de quarante-trois espèces pour lesquelles il précise l’horaire régulier d’ouverture et de fermeture de chaque floraison. Alors que l’horlogerie et les montres sont encore de rares et précieuses pièces d’orfèvrerie et de joaillerie réservées aux élites, Linné souhaite concevoir « une horloge d’après laquelle on puisse savoir l’heure, même par temps couvert, aussi précisément qu’une montre ».

Pour ce faire, plusieurs expéditions et des années d’observations au sein du jardin botanique de l’université d’Uppsala en Suède seront nécessaires. Grand ordonnateur de la multitude du vivant, il classifiera les fleurs en trois catégories :

  • — les « Météoriques qui apportent moins d’exactitude dans l’heure de l’épanouissement, et qui sont ouvertes ou plus tôt ou plus tard, en raison de l’ombre, de l’air humide ou sec, ou de la pression plus ou moins grande de l’atmosphère »,

  • — les « Tropiques, qui s’ouvrent le matin et sont chaque jour closes avant le soir mais l’heure de l’épanouissement monte ou descend relativement au jour qui croît ou diminue »,

  • — et enfin, les « Équinoxiales qui s’ouvrent à une heure fixe et positive et dont la plupart se ferment tous les jours à une heure déterminée », et qui serviront à concevoir l’Horloge.

Le dispositif démarre par l’ouverture du Salsifis des prés (Tragopogon pratensis) à 3 heures du matin et s’interrompt avec la fermeture de l’Hémérocalle fauve (Hemerocallis fulva) à 20 heures. Bien que perfectible et critiquée par certains pour son manque d’exactitude, l’Horloge de Flore rencontra un important succès à travers l’Europe du Nord. Célébrée par les poètes naturalistes Jacques Delille et Erasmus Darwin (le grand-père de Charles), cette ingénieuse horloge vivante eut une influence déterminante sur des écrivains romantiques comme Jean-Jacques Rousseau ou W.J. Goethe, tous deux férus de botanique : « Seul avec la nature et vous, je passe dans mes promenades champêtres des heures délicieuses, et je tire un profit plus réel de votre Philosophia Botanica que de tous les livres de morale », écrira Rousseau à Linné.

Espèces observées par Carl Linné (Uppsala, Suède, 1751) :

N°2 : Crépide rose, (Crepis rubra)

N°3 : Chicorée sauvage, (Cichorium intybus)

N°6 : Piloselle orangée, (Pilosella aurantiaca)

N°10 : Souci des champs, (Calendula arvensis)

N°16 : Souci du Cap, (Dimorphotheca pluvialis)

N°21 : Hémérocalle fauve, (Hemerocallis fulva)

N°24 : Phalangère ramifiée, (Anthericum ramosum)

N°27 : Piloselle, (Pilosella officinarum)

Au début du XIXe siècle, c’est au tour du botaniste suisse Augustin Pyramus de Candolle (1778-1841) – qui qualifie l’Horloge de Linné de « métaphorique » – de produire le résultat de ses patientes observations réalisées à Paris, en été. Dans son ouvrage Physiologie végétale publié en 1832, il consigne les horaires d’une trentaine d’espèces et genres botaniques dont plusieurs végétaux à floraison nocturne nouvellement acclimatés. Cette liste, qui permet de couvrir une journée continue, sera intégralement reprise et complétée par le botaniste et vulgarisateur scientifique Henri Coupin (1868-1937) dans son ouvrage Les Plantes originales, prolongeant le succès populaire de l’Horloge de Linné dans le XXe siècle, malgré la démocratisation et la précision des instruments et mécanismes horlogers.

Espèces observées par A.P. de Candolle (Paris, France, 1832) :

N°1 : Belle-de-jour, (Convolvulus tricolor)

N°8 & 9 : Volubilis, (Ipomoea purpurea)

N°20 : Ficoïde, (Cleretum bellidiforme)

N°23 : Oeil-de-paon, (Tigridia pavonia)

N°29 : Belle-de-nuit, (Mirabilis jalapa)

Dans la seconde partie du XIXe siècle, le botaniste autrichien Anton Kerner von Marilaun (1831-1898) décide de réactiver le dispositif de Linné, quelque peu tombé dans l’oubli depuis un siècle. Pionnier de la phytosociologie, il observe minutieusement le rythme floral d’environ quatre-vingt espèces et, pour une dizaine d’entre elles, compare les décalages horaires avec les relevés du Suédois, réaffirmant ainsi la prépondérance de l’emplacement géographique de toute « Horloge de Flore ».

Dans son ouvrage The Natural History of Plants, cet adepte du darwinisme, également à l’origine d’une « Horloge de Graminées, démontrera l’influence déterminante de nombreux facteurs sur les mouvements végétaux (température, hygrométrie, luminosité…), et plus particulièrement l’intime relation qu’entretiennent les fleurs avec leurs pollinisateurs.

Espèces observées par A. Kerner von Marilaun (Innsbruck, Autriche, 1895) :

N°7 : Renoncule âcre, (Ranunculus acris)

N°11 : Souci des jardins, (Calendula officinalis)

N°12 & 13 : Pavot de Californie, (Eschscholzia californica)

N°14 : Lin à grandes fleurs, (Linum grandiflorum)

N°15 : Carline acaule, (Carlina acaulis)

N°17 : Gilia tricolore, (Gilia tricolor)

N°18 : Oxalis de Vadlivia, (Oxalis valdiviensis)

N°19 : Nicandre faux-coqueret, (Nicandra physalodes)

N°25 : Campanule à feuilles d’ortie, (Campanula trachelium)

N°26 : Gentiane croisette, (Gentiana cruciata)

Cette œuvre représente également l’occasion de rappeler combien le lyrisme et le romantisme de « l’Horloge de Flore » auront, jusqu’à nos jours, influencé de nombreux·ses artistes. Le compositeur Jean Françaix (1912-1997) s’inspirera du dispositif de Linné pour créer une « Horloge de Flore musicale ». Composé de 7 mouvements correspondant chacun à l’ouverture florale d’une espèce, ce concerto pour hautbois et orchestre de chambre créé en 1959 sera notamment joué en 2016 à Besançon, eu égard à la culture horlogère de la cité du Doubs. C’est avec la Catananche, qui déploie son inflorescence dès les premières lueurs du jour à 5 heures, que le chef d’orchestre invite son auditoire à une aurore mélodieuse.

N°4 : Catananche bleue, (Catananche caerulea)

Pour aller plus loin :

Les horloges de référence

— L’Horloge de Flore de Carl Linné, Philosophia botanica, 1751, version originale en latin (Internet Archive), (traduction française (Bibliothèque nationale de France)

— L’Horloge de Flore d’Augustin Pyramus de Candolle, Physiologie végétale, 1832, version originale en français (Bibliothèque nationale de France)

— L’Horloge de Flore d’Anton Kerner von Marilaun, The Natural History of Plants, 1895, version originale en anglais (Biodiversity Heritage Library)

— L’Horloge de Flore d’Henri Coupin, Les Plantes originales, 1909, version originale en français (Bibliothèque nationale de France)

— L’Horloge de Flore du compositeur Jean Françaix, 1959, site officiel, version musicale interprétée par André Previn, London Symphony Orchestra ; John De Lancie (YouTube, 16’)

Chronobiologie et cinétique florale

— La Faculté motrice dans les plantes, C. Darwin, 1882, traduction française (Bibliothèque nationale de France)

— « Les mouvements des végétaux, du réveil et du sommeil des fleurs », H. Du Trochet, 1921, version originale en français (Biodiversity Heritage Library)

— « Flower Clocks, Time memory and Time Forgetting », W. Engelmann & B. Antkowiak, 2016, version originale en anglais (PDF, Université de Tübingen)

— « Aux aurores de la chronobiologie », A. Klarsfeld, 2017, version originale en français (BibNum)

— « Time is Honey : Circadian Clocks of Bees and Flowers and how their Interactions May Influence Ecological Communities », G. Block & al., 2017, version originale en anglais (Royal Society)

« Ce qui pousse les plantes à fleurir », S. Hutin & C. Zubieta, 2020, version originale en français (Université Grenoble Alpes)

— « How Plants Tell Time », M. Haydon, 2021, version originale en anglais (Université de Melbourne)

Bibliographie

— P. Jaeger, La Vie étrange des fleurs, Paris, Horizons de France, 1959

— W. Blunt, Linné, le prince des botanistes, Paris, Belin, 1986

— H. Schmitz & N. Uddenberg, Linné le rêve de l’ordre dans la nature, Paris, Belin, 2007

— P. Sellenet, « Les horloges florales », La Garance voyageuse, n° 98, 2012

— A. Svenbro, « Linné et la France : entre botanique et politique », La Revue de la BNU, no 8, 2013

— K. Martinsson, Linné et la chronologie des plantes, Université d’Uppsala, 2022